jeudi 1 mars 2018

La Côte d'Ivoire se prépare pour un autre Eurobond pour financer ses grands projets de développement. Qu'est-ce que l'Eurobond? Suivez cette interview pour comprendre

De nombreux gouvernements africains ont recours ces dernières années aux eurobonds, se diversifiant des sources de financement traditionnelles de type dette concessionnelle et investissements étrangers directs. D'ailleurs, le Premier ministre ivoirien Daniel Kablan Duncan annonçait le 14 avril, que la Côte d'Ivoire va émettre un eurobond d’un montant de 500 millions de dollars avant fin mai 2014.Encore la Côte d'Ivoire se prepare pour un autre EUROBOND .
Véritable erreur ou choix stratégique ? Pour en parler, nous avons rencontré Seydina M.R. Tandian, Pdg de Emerging Markets Ratings- West Africa Rating Agency(EMR-WARA), une Agence de Notation agréée par le CREPMF

Entretien !
Quelle définition donnez-vous des Eurobonds ?
Lorsqu'un Etat émet la dette, Il peut la libeller en francs CFA (par exemple les obligations TPCI) ou emprunter en dollars ou en euros. Un eurobond c'est une émission obligataire en devises, et non en devise locale. Cela fonctionne comme de la dette supplémentaire, mais remboursable en devises, y compris les intérêts.
Quelles sont les raisons qui motivent nos Etats à recourir aux Eurobonds ?
Une émission en Eurobond permet de lever des devises, de diversifier ses sources de financement , de tester la qualité de sa signature internationale par le biais de son rating, et d'exister en tant qu'émetteur sur les marchés financiers internationaux. Cependant il faut souligner que pour nos Etats il y a deux raisons pour lesquelles ils ont eu recours aux Eurobonds. La première raison, c'est quelquefois pour restructurer la dette. La Côte d'Ivoire a déjà restructuré ses eurobonds (les emprunts Brady). La Côte d'Ivoire a déjà fait défaut sur ses eurobonds. Il y a une seconde raison, celle que je préfère d'ailleurs, c'est de dire que nous avons des projets d'infrastructures qui nécessitent des capitaux conséquents, nous prenons la décision d'emprunter ce que nous ne pouvons pas trouver sur notre marché financier car le niveau d'épargne étant assez faible, et pour éviter les effets d'éviction, je vais tester la qualité de ma signature sur les marchés internationaux avec un rating. Donc, je vais rechercher sur le marché international les ressources complémentaires au financement de l'investissement.
Mais la Côte d’Ivoire n’est pas notée.
Je ne vous le fais pas dire. Il semblerait qu’elle soit sur le point de l’être. Pour notre part, nous avions conseillé une démarche qui consisterait à évaluer le risque Côte d’Ivoire en partant de sa dette libellée en monnaie locale avec une correspondance en Euro. Attendons de voir quelle est la stratégie de l’Etat en la matière, je crois aussi savoir qu’existe un Comité national de gestion de la dette publique. A quelle note les vielles agences vont assigner à la Côte d'Ivoire ?, à quels taux la Côte d'Ivoire va émettre, Sur quelle durée, et surtout l’agenda de cette émission. Car, comme vous le savez, la qualité de la signature ne suffit pas, il faut aussi solliciter les marchés au bon moment, sur des volumes intéressants et avec un agenda cohérent. A ce sujet, est-ce que la veille d’élections est une bonne chose ? est-ce que au moment de la fin du quantitative easing aux states et où nous observons des tensions naissantes sur les marchés émergents est une bonne chose ? Seul l’avenir nous le dira.
Quelle est la durée de remboursement ?
Généralement les maturités des Eurobonds sont beaucoup plus longues peuvent aller jusqu’à 30ans. Je crois me souvenir que l’Emprunt Brady pour la Côte d'Ivoire est jusqu’à 2032. Cette « euro-obligation maturité 2032 » est issue d’une restructuration des 2,8 milliards $ de ses six séries de titres Brady, en défaut de paiement depuis 2000. Mais dont le paiement des intérêts a repris depuis.
Mais la vraie question, c'est qu'est-ce qu'on en fait avec ces eurobonds ? Est-ce qu'avec cet argent, on va créer des conditions d'investissement pour que la Côte d'Ivoire soit compétitive, afin que les investissements directs affluent, que les Ivoiriens eux même investissent , croient en leur pays, que les jeunes trouvent des emplois et puissent payer les impôts ; est-ce qu'avec cet argent, l'on va pouvoir régler les questions d'énergie , d’éducation, de formation professionnelle, ou de l'eau potable, de la santé ? L'argent, ce n'est pas le problème. C'est ce qu'on en fait. Si c'est pour acheter de nouveaux avions, des armes , ou faire des dépenses de prestige, ou redistribuer à sa clientèle politique, vous comprendrez qu'on aura rien réglé et que les difficultés seront devant nous pour payer…
Quel est le niveau de risque au niveau des eurobonds ?
Le principal risque est un risque de non-transfert: il faudra à terme mobiliser suffisamment de recettes en devises, par un excèdent courant, pour rembourser les principales et les intérêts de l'emprunt en devises. Il est évident que lorsque vous avez recours à la dette dans une monnaie qui n'est pas la vôtre, le risque est plus important que lorsque vous empruntez en francs CFA. Nous avons aujourd’hui une parité avec l’euro, mais l'histoire a aussi démontré que cette parité peut changer en notre défaveur. Il peut aussi arriver que quand bien même vous avez les moyens, il peut avoir des événements qui font que vous n'êtes pas susceptible de payer. Souvenez-vous de l’Etat des banques et de la crise au sein de la Bceao durant la crise post-électorale.
Qu'est-ce qu'il faut pour minimiser ces risques ? Quelles alternatives aux Eurobonds ?
La mobilisation de devises, outre les émissions de dette euro-obligataire, ne prend qu'un petit nombre de formes: soit les privatisations; je crois savoir qu’une quinzaine d’entreprises sont sur la liste, mais que des solutions endogènes seraient plutôt à l’étude ce qui est une bonne chose ; soit la dette bancaire internationale; elle ne me paraît pas compétitive en taux et en maturité, elle peut être dangereuse et source de non transparence, soit la titrisation de recettes futures en devises; encore faudrait-il que la Côte d'Ivoire soir notée et que ces revenus ne soient pas hiératiques, soit le transfert de devises vers le pays d'origine des nationaux résidant à l'étranger; des Etats y ont eu déjà recours, c’est le cas d’obligations réservées à la Diaspora. C’est une voie à creuser sérieusement pour la Côte d'Ivoire, enfin soit de meilleure compétitivité et attractivité internationales générant un excédent courant. Permettez-moi d’insister sur ces deux derniers points. Ce que je vais dire n'engage que moi. J'ai l'impression que nos Etats mettent la charrue avant les bœufs, et que les emprunts sont souvent là pour pallier les insuffisances de politique fiscale et budgétaire désordonnées. C'est ce qui fait qu'ils sont toujours dans une course contre la montre. De quoi il s'agit ? Il s'agit de trouver les moyens pour financer l'économie du pays. Je trouve que nos Etats ont insuffisamment mis l'accent sur deux éléments qui sont extrêmement importants. D'abord nous avons la question de l'épargne et de l'investissement au niveau national. On doit d'abord pouvoir compter sur ses propres forces. Certes les emprunts à l'extérieur sont toujours nécessaires, mais cela doit constituer des ressources complémentaires. Nos Etats ont failli à ce niveau-là. Je vous donne un exemple : savez-vous que l'Afrique est exportatrice net de capitaux sur les marchés des pays développés ? Il y a une étude des Nations Unies qui démontre que les compagnies d'assurance et plusieurs investisseurs institutionnels en Afrique ne trouvant pas de produits intéressants, sont aujourd'hui obligés d'aller investir en Europe. Nous n'avons pas encore su trouver des mécanismes incitatifs pour les épargnants, encore moins de trouver des stratégies pour mobiliser nos compatriotes, les autres Etats africains régionaux partenaires à travers des projets dans lesquels ils s'identifient. C'est une grosse faille et nous allons le payer cher tôt ou tard. Il y a des déficits de mobilisation, d'explication et de confiance. Souvenez-vous, des familles en Côte d’Ivoire et au Bénin ont perdu des fortunes dans l’épargne pyramidale, confiée à des voyous. Il s’agit de centaines de milliards. Ces sommes auraient pu être mieux et utilement mobilisées et drainées vers l’investissement productif national. La deuxième chose, il y a le fait que très peu d'entreprises intéressantes du point de vue de l’attractivité des Ide sont cotées à la bourse. Depuis l'époque de la bourse des valeurs d'Abidjan à aujourd'hui, le nombre de sociétés n'a pas vraiment évolué. Donc, on n'a pas su profiter de l'attractivité de nos marchés en terme de croissance , et le tassement des revenus tirés par les fonds de pension en Europe et en Amérique suite aux crises 2008-2009 et 2012 en Europe pour créer des flux d'investissements dans nos entreprises qui pourraient générer des ressources supplémentaires pour l'Etat pour lui permettre aussi de financer l'investissement pour plus de compétitivité.
Qu'est-ce qu'on aurait dû faire concrètement?
Je n’ai pas de solutions toutes faites, mais il me semble que nos Etats devraient aller rapidement vers de nouvelles régulations économiques ; mettant les créateurs de richesses au niveau local, les Tpe Pme, l’épargne et l’investissement endogène, ainsi que l’épanouissement d’une classe moyenne aisée au centre de ses préoccupations. Je pense par exemple à un système de quota au niveau des marchés publics réservés aux Pme locales lors des grands travaux ou investissements dans les infrastructures. Au lieu d’une taxe sur le chiffre d’affaires de l’hévéa, ou sur les télécoms , je pense que nos Etats pourraient préconiser que les sociétés exploitant des ressources minières , des infrastructures, ou concessionnaires de services publics ou ayant une position dominante dans un secteur important de l’économie nationale devraient au moins coter de 20 à 30 % sur le marché, cela permettrait de générer de la richesse ici, de la consommation, donc de la fiscalité qui viendrait aider l'Etat à financer son économie. L’exemple de Drogba actionnaire dans les mines d’Ity est une bonne chose. Mais il faut l’élargir à tous les Ivoiriens.

Interview réalisé par Bertrand GUEU

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